VOTE CONCORDANT DU JUGE A.A. CANÇADO TRINDADE
1.
J’ai voté en faveur de l’adoption du présent Arrêt par la Cour interaméricaine des droits
de l’homme, dans l’affaire Almonacid Arellano et autres c. le Chili. Étant donné l’importance
des questions qui y sont traitées par la Cour, je me vois dans l’obligation d’ajouter au présent
Arrêt ce Vote concordant, qui contient mes réflexions personnelles comme fondement de ma
position relative aux délibérations de ce Tribunal. Je vais axer mes réflexions sur trois points
principaux, à savoir : a) l’absence de validité juridique des autoamnisties ; b) les
autoamnisties, l’obstruction et le déni de justice : l’extension du contenu matériel des
interdictions du jus cogens ; et c) la conceptualisation des crimes contre l’humanité au point de
rencontre entre le Droit international des droits de l’homme et le Droit pénal international.
I.
Absence de validité juridique des autoamnisties.
2.
Le présent Arrêt de la Cour interaméricaine dans l’affaire Almonacid Arellano et autres
s’inscrit dans la ligne de raisonnement inaugurée dans son arrêt historique (du 14.03.2001)
relatif à l’affaire Barrios Altos concernant le Pérou, dans lequel la Cour affirmait que
"sont inadmissibles les dispositions relatives à l’amnistie, à la prescription et à
l’établissement d’exclusions de responsabilités qui prétendent empêcher l’investigation et
la sanction des responsables de violations graves des droits de l’homme telles que la
torture, les exécutions sommaires, extrajudiciaires ou arbitraires et les disparitions
forcées, qui sont toute interdites car elles contreviennent aux droits indérogeables
reconnus par le Droit international des droits de l’homme » (par. 41).
L’Arrêt de cette Cour dans l’affaire Barrios Altos, -dans lequel l’État péruvien avait commis des
violations,- est devenu mondialement connu et reconnu dans les cercles juridiques
internationaux car c’est la première fois qu’un tribunal international avait jugé qu’une loi
d’autoamnistie n’a pas d’effets juridiques. Dans son Arrêt concernant l’affaire Barrios Altos, la
Cour a affirmé, pour la première fois et de façon lapidaire, que
« La conséquence de l’incompatibilité évidente entre les lois d’autoamnistie et la
Convention américaine relative aux droits de l’homme, est que lesdites lois n’ont pas
d’effet juridique et elles ne peuvent continuer à être un obstacle à l’investigation des faits
(...) ou à l’identification et au châtiment des individus responsables (...) » (par. 44).
3.
Dans l’affaire en cause Almonacid Arellano et autres, même s’il n’y a pas eu de
reconnaissance de responsabilité de la part de l’État chilien, celui-ci a assumé une attitude
positive et constructive au cours de la procédure portée auprès de la Cour (comme il s’en
dégage du contenu du présent Arrêt), car à aucun moment il n’a affirmé que le Décret Loi No.
2191 (d’Autoamnistie) du 18.04.1978 ne violait pas la Convention américaine (par. 90), et il a
lui-même admis qu’« en principe, les lois d’amnisties ou d’autoamnisties sont contraires aux
normes du Droit international des droits de l’homme » (par. 112). Dans le présent Arrêt, la
Cour a correctement qualifié ledit Décret Loi No. 2191 de loi d’autoamnistie, élaborée par « le
régime militaire lui-même afin de soustraire, principalement, ses propres crimes à l’action de la
justice », crimes perpétrés pendant l’état de siège entre le 11.09.1973 et le 10.03.1978 (par.
119 et 81.10).